LA CHAMBRE DES MORTS
de Alfred LOT
LES ACTEURS
Lucie : Mélanie LAURENT
Moreno : Eric CARAVACA
Sylvain : Gilles LELLOUCHE
Vigo : Jonathan ZACCAÏ
Annabelle : Céline SALLETTE
Alex : Laurence CÔTE
Valet : Nathalie RICHARD
Raviez : Stéphane JOBERT
Colin : Antoine OPPENHEIM
Stan : Alexandre CARRIERE
Mère Lucie : Fanny COTTENÇON
Léon : Jean-François STEVENIN
Van Boost : Jean-Pierre GOS
FICHE TECHNIQUE
Producteur Délégué Charles GASSOT
Réalisateur Alfred LOT
Producteur Exécutif Jacques HINSTIN
Directeur de la Photographie Jérôme ALMERAS
Chef Décorateur Jean-Pierre FOUILLET
Chef Opérateur du Son Laurent ZEILIG
Créateur de Costumes Olivier BERIOT
Chef Monteuse Maryline MONTHIEUX
Chef Monteur Son Francis WARGNIER
Mixeur Dominique GABORIEAU
Musique Nathaniel MECHALY
Casting Brigitte MOIDON
1er Assistant Réalisateur Stéphane MORENO-CARPIO
Scripte Marie LECONTE
Régisseur Général Gaël DELEDICQ
1er Assistant Opérateur Catherine GEORGES
Photographe de Plateau Stéphanie BRAUNSCHWEIG
Chef Maquilleuse Valérie CALLENS
Chef Coiffeuse Isabelle ANFRAY
Maquillage SFX et mannequins Jean-Christophe SPADACCINI , Denis GASTOU
1er Assistant Décorateur Jean-Luc ROSELIER
1er Assistant Décorateur (Paris) Christophe FATON
Ensemblier Stéphane CRESSEND
Chef Electricien Laurent HERITIER
Chef Machiniste Pierre GARNIER
Making of Emmanuel BRETON

L'HISTOIRE : En pleine nuit, au milieu d'un champ d'éoliennes, deux informaticiens au chômage renversent un homme surgi de nulle part. A ses côtés, un sac rempli de billets : deux millions d'euros, là, à portée de main et aucun témoin. Que faire ? Appeler la police ou profiter de l'occasion ?
Le lendemain, dans un entrepôt à quelques mètres des lieux de l'accident, la police retrouve le corps de Mélodie, une fillette aveugle. Et si l'argent était destiné à payer sa rançon ? L'assassin a-t-il vu les chauffards ?
Le soir même, une autre enfant est kidnappée. Diabétique cette fois. Ses heures sont comptées. A l'hôtel de police de Dunkerque, le compte à rebours est lancé. Aux côtés du lieutenant Moreno, un collègue très prévenant, Lucie, une jeune brigadier de 26 ans, participe à sa première enquête.
Et curieusement, au sein du groupe crime, on a vite le sentiment que Lucie n'est pas là par hasard...
ENTRETIEN avec Alfred LOT, Réalisateur/scénariste
Votre film séduit déjà par sa mise en scène. Cest rare pour un premier film, quelle a été votre formation ?
Fils dagriculteur, rien ne me prédisposait à limage. Depuis tout petit jécrivais des histoires sans penser au cinéma, jusquau jour où jai réalisé que je ne pouvais écrire que ce que javais dabord visualisé. Et puis je trouvais excitant le procédé, raconter une histoire de façon collective plutôt que seul dans ma chambre. À 17 ans, jai eu accès à une de ces premières caméras vidéo énormes avec laquelle jai tourné un minuscule court métrage monté sur un horrible magnétoscope U-matic. Personne na vu ce film, mais lexpérience ma convaincu dinsister. Après un bref passage à lESRA, jai voulu très vite me coltiner à la réalité. Jai commencé comme stagiaire à la régie sur CHOUANS, un film de Philippe de Broca, puis jai gravi les postes de régisseur et dassistant à la mise en scène, tout en continuant à écrire. Pris par le goût des voyages, je travaillais depuis un moment comme technicien sur ce que jappelle des « films en shorts » ; tous nétaient pas terribles, mais ils me permettaient de découvrir des pays formidables. Mon premier scénario a obtenu lAvance sur Recettes, une histoire sur le milieu de la prostitution en Thaïlande, mais je nai jamais réussi à monter le film. Après quelques films comme directeur de production chez Europa Corp, jai reçu un appel de Charles Gassot. Il avait lu un de mes scénarii et me proposait den écrire un autre en tandem avec un metteur en scène... En fait, ma formation sest faite sur le terrain en minvestissant concrètement dans la fabrication des films. Je ne soupçonnais pas à quel point tout cela pourrait me servir.
Quest-ce qui vous a convaincu dadapter le roman de Franck Thilliez, son intrigue méthodiquement élaborée, son univers visuel ?
Lintrigue, bien sûr, et aussi et surtout lauthenticité des personnages. Franck Thilliez était informaticien chez Arcelor avant de devenir écrivain. La fenêtre de son petit bureau à Dunkerque donne sur un champ déoliennes... Un jour, il a commencé à écrire en sinspirant des lieux et des gens quil côtoyait. Il a propulsé des gens simples dans une histoire extraordinaire, cest ce qui ma accroché avant tout. À travers une intrigue haletante, je pouvais avancer dans les sphères de lintimité, de lamitié, des dérèglements de la folie... Jy ai vu aussi la possibilité de jouer avec le genre.
Cest-à-dire ?
Cest-à-dire quon est tous un peu blasé non ? On voit des centaines de films, dès les premières images, on pense savoir où on est, où on va, cest rassurant, confortable... LA CHAMBRE DES MORTS commence comme ça, un accident, un enlèvement, une enquêtrice... Parfait ! Identification, installation sur les talons de lhéroïne et rendez-vous à la fin. Cest le cliché, mais cest très agréable. Simplement, je nai pas eu envie de reproduire cela. Une fois le spectateur embarqué et soigneusement préparé, cest-à-dire armé de tous les indices, jai choisi de le déstabiliser en lemmenant ailleurs... Dans un jeu de piste qui le fait basculer du monde connu et concret de la victime et de lenquête policière à lunivers intérieur et déséquilibré du tueur. Ce changement daxe perturbe, dérange et désoriente le spectateur comme lest lhéroïne à qui il sest attaché.
Quelles libertés vous êtes-vous autorisé en adaptant le roman ?
Une liberté totale, en accord avec lauteur. Le film donne des réponses à des questions que Franck a choisi de laisser en suspens dans son livre. Et pourtant, le film est fidèle à son roman. Dans le livre, le personnage du « tueur » nest pas décrit, il nexiste quau travers dune voix intérieure. Pour le cinéma, il a fallu lincarner de la façon la plus juste, cohérente et spectaculaire. En dehors de cette nécessité absolue, il y a des modifications incontournables, et dautres qui répondaient à ma vision du livre. Dailleurs, la première fois que jai rencontré Franck, je lui ai dit : « Je sais ce quil y a dans le placard ». Il ma regardé avec les yeux écarquillés. Et il était fou de joie, parce que lui navait jamais su ce quil y avait dans le placard !
Et quy a-t-il selon vous dans la mystérieuse armoire secrète de Lucie ?
Je ne peux pas tout dévoiler... Disons quelle y a enfermé sa culpabilité, son conflit, son intimité. Cette espèce de mausolée est un élément symbolique qui lui permet de repartir au combat, de ne jamais renoncer. On a tous une blessure, incarnée ou non, rangée ou pas dans un placard quon ouvre avec plus ou moins denvie, de courage, de nécessité.
Vous avez développé certains personnages du roman.
Jai renforcé certains personnages (La mère, Moreno, Raphaëlle...) et les liens quils entretiennent avec celui de Lucie, interprétée par Mélanie Laurent. Chacun dentre eux lui porte une attention particulière, personnelle. Leur curiosité enrichit le personnage de Lucie et provoque celle du spectateur. Jai également créé un lien avec un autre personnage dont je préfèrerais que lon parle peu, pour ne pas gâcher le plaisir du suspense !
Oui, dailleurs dans ce même souci, nous névoquerons pas certaines séquences autour de ce personnage... À propos de plaisir, plus lenquête avance, plus on se prend au jeu, on est captivé par lévolution de situations en ricochet, jamais gratuites. Comment avez-vous travaillé « leffet papillon » dans la construction de ces trois histoires qui senchevêtrent ?
Je voulais garder la chronologie de lhistoire en utilisant un minimum de flash-backs. Jai préféré travailler lenchevêtrement des trois histoires pour créer une accélération dans la narration qui force le spectateur à ne pas sarrêter sur lune ou lautre. Il y a des situations ou des coïncidences qui, froidement, pourraient paraître totalement incroyables, mais en sautant rapidement dune piste à lautre, on empêche le spectateur daller trop vite dans ses déductions. Jouer avec le spectateur, cest la matière même du cinéma, qui est aussi lart du mensonge et de lartifice. Je suis très cartésien et organisé, mais on ne peut pas aborder une histoire de ce genre-là en essayant dy appliquer des règles strictes dauthenticité. À un moment donné, il faut être un tout petit peu escroc ! Enfin, tricher un peu, tout en restant honnête et plausible...
En travaillant sur les ellipses par exemple ?
Oui. Cest un film qui demande au spectateur de faire sa part de travail. Jai volontairement créé dans la narration des ellipses franches qui mettent le spectateur à contribution. Et ce, aussi bien dans le scénario que dans le montage. Quand je parle de montage, il sagit du montage des scènes elles-mêmes, pas des scènes entre elles. Le regard du spectateur est aujourdhui tellement entraîné quil accepte laccélération de certains moments de vie, des enchaînements logiques de situations, des déplacements etc. Il faut aller plus vite que lui, le bousculer !
Et en plus il est pris dangoisse !
Le processus didentification fait que lon a peur pour les personnages et particulièrement pour celui de Lucie évidemment... Même si jai voulu que lon puisse sidentifier à chaque personnage, je dis bien, à tous les personnages.
Pourquoi vouliez-vous nous attacher à lhumanité des personnages... ou à leur monstruosité ?
Là on touche à quelque chose qui mintéressait bien avant de lire ce livre. Je me suis toujours interrogé sur lhumanité dun criminel. Tuer, ça vient de quelque chose de très profond, de très intime. Pourquoi ce dérèglement, cette pulsion chez un homme, et pas chez un autre ? Comment cet homme, un jour, passe de lautre côté ? À un moment donné, on est dun côté ou de lautre, et on ne le maîtrise pas du tout, contrairement à ce quon pense... On a tous une violence en nous, et pourtant... Le film nest pas une réponse, il reste une fiction, mais je voulais ouvrir cette porte. Dailleurs il y a beaucoup de portes dans ce film ! Je tenais à ce que cette idée ait sa place dans cette histoire, que le spectateur sinterroge sur le personnage du criminel, même si on est dans un film de genre, même si on fait du divertissement. Jai consulté une analyste comportementale pour travailler ce personnage. Après avoir lu le scénario, elle ma aussi aidé à construire la personnalité de Lucie, comment et pourquoi cette jeune brigadier de police en sait-elle plus dans certains domaines que ses collègues expérimentés ?
Autre originalité dans cette histoire, lintrusion accidentelle de deux chômeurs qui perturbe le duel classique flic et psychopathe. Deux personnages qui, dans un premier temps, ne comprennent rien à laffaire.
La gageure concernant ces deux personnages était de les installer en peu de temps, donc leurs caractéristiques devaient être évidentes. Au début, Vigo et Sylvain sont deux types a priori semblables, même génération, même profil social. On est dans le concret, dans lauthentique, dans notre voisinage, mais, soudain, un événement extraordinaire les propulse tous les deux dans le spectaculaire.
Oui, ils sont confrontés à un choix éthique. Et là, ils sopposent, quasiment comme dans un duel de western.
Pourquoi pas ! Mais la ligne narrative de Vigo et Sylvain est probablement celle qui est la plus inspirée du film noir des années 40, la plus conforme à ce genre. Leurs scènes sont graphiquement hiératiques, le plan sur le terril, la scène dans la remise etc. On installe des personnages très simples et, après une bascule évidente, leur transformation est claire. Pour tous les couples du film, il y a un moment où chacun, face à un choix personnel, révèle sa personnalité. À un moment, Lucie part seule parce quun jour elle na pas été capable douvrir une porte. Et quinze ans plus tard, elle a grandi, elle a une arme...
Dans ce film noir, face à la mort, il y a aussi lamour.
Oui, il se passe aussi de jolies choses dans ce monde ! Je voulais que le spectateur sattache à lhistoire damour qui sinstalle entre Lucie et Moreno. Jaime bien lidée que les policiers aient une vie personnelle, une aventure amoureuse, même quand ils sont plongés dans une affaire trépidante ou macabre. Je pense que ça crée des ponts dans la narration globale. Il y a une bascule dans le film au moment où on découvre le criminel. Il fallait un certain nombre de paliers avant de pénétrer dans lunivers de la folie. Lhistoire entre Lucie et Moreno en fait partie, il y en a dautres. Particulièrement en termes de décors, on passe du réalisme du commissariat et de lenvironnement où vit Lucie, au monde souterrain et morbide en passant par le zoo, latelier du taxidermiste etc.
Vous exploitez tous les attraits de cette histoire à plusieurs entrées, sans jamais forcer dans le fantastique ou le gore. Comment rester dans les codes tout en nallant pas dans les clichés ?
Je ne cherche pas à singer un genre, mais à installer le film dans un territoire. Le gore mennuie. Le sang ne mamuse pas. Dailleurs, il y en a très peu dans le film. Non, ce nest pas le sang qui mintéresse, mais « lhumanité » qui y conduit. Tout le trouble, cette part opaque de lHomme. Jai essayé de me servir des outils que me propose le cinéma pour incarner la violence. Toujours dans cette idée de créer de lémotion, quand on voit limage dun singe crucifié, on ne peut pas sempêcher de projeter le danger ensuite sur les personnages. De même en situant le danger dans des objets. Il suffit de montrer lefficacité dun scalpel ou les effets de lacide sur la peau pour limaginer sur le visage dun être humain. Ces moyens évitent la frustration et participent à développer langoisse. Je fais confiance à limagination du spectateur. Elle a son rôle, cest ce que jaime dans le cinéma. Ce plaisir-là, dêtre entraîné dans des émotions que lon ne contrôle plus.
Vous avez aussi choisi des décors qui influent sur latmosphère du film.
Les décors sont très proches de ceux qui ont inspiré Franck Thilliez. Avant dadapter le livre, je lui avais demandé de me faire un « Chambre des morts Tour », finalement tout était à deux pas de chez lui ! Jaime ces lieux super réalistes, toujours dans cette idée de favoriser lidentification. Mais cest lutilisation qui en est faite qui leur donne un sens. Pourquoi enterrer une valise de billets sur un terril, cest absurde, on peut tout aussi bien la mettre dans son potager ! Simplement, sur un terril à la tombée du jour, limage renforce le propos. Finalement, ce paysage spectaculaire et très authentique du terril propulse Vigo et Sylvain au-delà de leur réalité initiale et les fait basculer dans une histoire extraordinaire. Javais une petite gêne à marquer le Nord à cause de la dimension sociale, aujourdhui le chômage est partout, pourquoi le situer là plutôt quailleurs ? Mais il est là aussi, et le Nord apporte une dimension forte et instantanément lourde de sens. Cela ma finalement permis dêtre plus économe et plus rapide dans la narration.
Vous avez eu des conseillers pour donner toute crédibilité à lenquête policière ?
Jai longuement consulté un lieutenant de police judiciaire, ensuite un conseiller est venu sur le tournage pour valider les décors, les situations, et les procédures.
Le rythme est sec, oppressant et à la fois musical, foisonnant, généreux. Vous avez beaucoup utilisé la caméra à lépaule ?
Le parti pris était de tourner entièrement le film à lépaule, pour aller vite, donner le rythme voulu et offrir plus de souplesse aux comédiens. Il y a quatre plans sur rails sur 1700 plans montés ! Ma formation ma permis de connaître vraiment le plateau, et de maffranchir de la fascination naturelle face aux jouets du cinéma. Tourner quatre fois au steadycam autour dun acteur, cest inutile si ça ne sert pas vraiment lhistoire. Ce qui mintéresse, ce sont les acteurs, les décors, lhistoire. Lépaule permet dêtre super réactif, daller très, très vite, et de ne pas senfermer dans un découpage qui peut devenir artificiel et réducteur. Lhistoire est trop complexe pour être parasitée par une agitation de mouvements gratuits pour se faire plaisir.
On a dit à propos du livre de Franck Thilliez que cétait « LE SILENCE DES AGNEAUX, en version chtimi ». Ce film fait partie de vos influences ?
Tout le monde a vu LE SILENCE DES AGNEAUX, cest un film formidable auquel je fais deux petits clins doeil. Je montre carrément le livre, jassume, et une scène est directement inspirée du film, les aficionados la reconnaîtront... Sinon, je nai pas voulu maccrocher à tel ou tel film en particulier. Pour la lumière, les décors, les costumes et le montage, jai montré certains films aux techniciens, mais cétait davantage une réflexion sur une méthode de travail quune source dinspiration. Ça me permettait de faire comprendre rapidement à tout le monde dans quel sens javais envie de travailler. Ensuite chacun sest approprié le film pour quil devienne le nôtre.
Le couple Mélanie Laurent et Eric Caravaca est très touchant.
Je connais Eric depuis longtemps, jai écrit le rôle pour lui. Eric est un travailleur acharné, il peut tout jouer, cest un virtuose. Cétait très rassurant davoir à mes côtés un comédien de sa trempe... Pour le rôle de Lucie, il fallait une jeune femme qui paraisse suffisamment fragile pour que lon ait peur pour elle, et en même temps, une fille qui soit crédible avec une arme dans les mains, même si on se dit quelle na pas dû sen servir souvent. Mélanie Laurent a en elle une espèce de rage et à la fois cette fragilité. Je tenais à ce quil y ait une légère différence dâge entre Lucie et le Lieutenant Moreno. On comprend facilement pourquoi cette fille lintéresse, elle est ravissante, pertinente, intrigante, mais linverse est moins évident. Lucie est sans doute en manque de père, cette différence dâge joue dans lintérêt quelle peut porter au début à Moreno, au-delà du fait que cest un très bon flic, carré, intuitif, sérieux etc. Bien quils soient de formation différente, Mélanie et Eric sentendent à merveille. Mélanie a une intuition formidable et une intelligence de jeu inouïe pour une jeune comédienne.
Le duo Gilles Lellouche et Jonathan Zaccaï fonctionne impeccablement.
Il y a dans le film un crescendo fatal dont ils sont le métronome. Chacune de leurs apparitions nous fait gravir une marche. Gilles et Jonathan ont vraiment dû se serrer les coudes pour affronter chaque jour des scènes plus fortes et exigeantes que la veille ! Je pense que leur complicité « off » les a beaucoup aidés à réussir certaines scènes qui nous apparaissaient comme des montagnes.
Laurence Côte et Céline Sallette forment un couple diabolique et percutant !
Jai eu un plaisir fou à donner un matériau à des actrices qui sont capables daller dans les défis les plus inattendus en sinvestissant totalement dans leur engagement. Ce quelles font est sidérant, jai des frissons rien que den parler !
Nathalie Richard, Fanny Cottençon et Jean-François Stévenin ont visiblement pris un plaisir fou à composer leur personnage !
Dans le livre, le personnage de Raphaëlle Valet, le flic quinterprète Nathalie Richard, est un homme. Jai pensé quil fallait des exemples à Lucie, une filiation, des référents forts, et finalement cette femme flic lencadre et la protège dans ce milieu plutôt macho. Nathalie est une comédienne unique, cest une orfèvre dans son jeu ! Fanny Cottençon et Jean-François Stévenin nous donnent des moments de drôlerie et de légèreté pour distraire la tension. Ils se régalent pour notre plaisir.
Franck Thilliez dit être totalement satisfait du film. Il avoue même être jaloux des idées que vous avez trouvées pour votre adaptation. Cest un compliment plutôt rare. Généralement les auteurs se sentent toujours trahis.
Il se trouve que les idées que jai eues viennent du livre, elles nétaient parfois queffleurées, mais elles étaient là. En lisant certaines petites phrases, les images sont venues. Je pense que les lecteurs retrouveront le roman et quils auront aussi des surprises. Cest le livre avec des bonus ! Mon souci à lécriture était déviter de donner trop dexplications, mais plutôt de susciter des émotions intimes à chacun. Au bout dun moment, le spectateur a tissé tous les liens, des liens personnels aussi. Jespère que son plaisir se poursuivra après la vision du film.
Pour un premier film de cette dimension, il faut quun producteur prenne des risques et donne sa confiance.
Évidemment. Et ce qua fait Charles Gassot est incroyable ! Il mavait commandé lécriture dun scénario quand je suis tombé sur le roman de Thilliez. Je lui en ai aussitôt parlé. Il se trouve que Charles venait dacheter le livre sans avoir encore eu le temps de le lire. Il ma demandé de lui raconter lhistoire. Au bout de dix minutes, à peine arrivé à la scène de laccident, il appelle sa directrice financière Françoise Billet pour quelle achète les droits du livre. Quand elle lui fait remarquer quil navait pas de metteur en scène, jai levé la main, comme ça, spontanément. Charles ma regardé, puis il sest tourné vers Françoise en lui disant : « Appelez-les, vous voyez, on a un metteur en scène ! » Jétais dans les murs depuis trois mois à écrire un scénario destiné à quelquun dautre, je navais jamais parlé avec lui de mon intention de mettre en scène, et en un quart dheure, javais un film à réaliser. On a tourné moins dun an plus tard... Charles dit quil ny a pas de premier film, mais des films, tout simplement. Il les produit tous avec le même engagement, la même détermination. Je pense que ça se voit.
Entretien avec Charles GASSOT
Producteur
Le livre de Franck Thilliez a connu un joli succès en librairie, il y a certainement eu un bras de fer pour en obtenir les droits ?
Oui nous étions nombreux ! Il y avait déjà plusieurs producteurs en lice quand une amie de la librairie lÉcume des Pages a attiré mon attention sur ce bouquin. Je me souviens lavoir donné à lire à une collaboratrice, et elle ma dit, « Jai dévoré ce livre, mais après, seule chez moi, la peur au ventre, je suis allée verrouiller ma porte à double tour ! » Cette histoire ne laisse pas indifférent ; ce nest pas un livre de plus : il a une patte. Cest avec beaucoup de conviction et un peu de chance que jai fini par acquérir les droits du livre de Franck Thilliez. Notre duo sympathique, avec Alfred, a aussi pesé dans la balance.
Vous aviez déjà engagé Alfred Lot qui partageait un même emballement pour ce livre.
On travaillait ensemble depuis quelque temps : je lui avais demandé de développer lécriture dun scénario pour un metteur en scène. Forts de notre enthousiasme, on a alors décidé de se lancer sur LA CHAMBRE DES MORTS. Cétait un peu gonflé : Alfred navait jamais tourné de long-métrage. Mais je connaissais son background avec Luc Besson et dautres, je lavais vu à loeuvre et apprécié la façon dont il sait rebondir sur la structure dun scénario. Le seul boulot que je sache à peu près faire, cest de jouer au ping-pong avec un scénariste. Lécriture est un bon sas pour tester un réalisateur et voir comment le film va être réalisé. Je remarquais la façon dont Alfred construisait lhistoire et faisait avancer les intrigues, comment il développait tel ou tel personnage. Il y avait un gros travail dassemblage, il ne fallait pas perdre les caractères, ni le suspense en route. Avec cette réplique au début, « De toutes façons lassassin retrouvera les meurtriers avant la police », javais le leitmotiv du film. Ça au moins, cest du neuf. Donc jai un auteur nouveau, un metteur en scène inconnu... Après le talent de Thilliez, il y a celui dAlfred qui a su jouer avec limage, les ellipses et le montage, pour raconter ces histoires surprenantes tout en restant plausible. En plus, son casting est original, tous les acteurs sont étonnants.
Oui, mais cest quand même un sacré défi de donner toute sa confiance à un jeune réalisateur pour son premier film.
Jaime bien faire un film avec la trouille au ventre : généralement on ne sennuie pas. Dès quon est sûr de soi, on se ramasse ! En dehors de Canal, personne na voulu nous suivre en venant dans le financement. Aujourdhui, les chaînes de télé pensent « 20h30 ». Le distributeur du film, Jean Labadie, nous a rejoint, il avait entendu parler du livre et voulait le produire. Grand amateur de bouquins noirs, son aide fut également précieuse aussi par ses remarques pertinentes sur le scénario.
Quels étaient les points du livre quil fallait retrouver dans le film ?
Dans le genre du Film Noir, on sort dun cinéma lénifiant où lintrigue se réduit au gendarme et au voleur. Là, tout dun coup, on plonge dans un suspense qui court à travers plusieurs histoires brassant des univers très différents. Et tout se passe dans le Nord, une région sublime à filmer parce que tout est chargé de sens : le ciel gris, les briques, les usines, les entrepôts, les terrils la nuit, ça fout les jetons ! Alfred sappuie sur ce réalisme, tout en mettant en tension toutes les pistes de lhistoire. On voulait que les gens se sentent un peu mal à laise dans leur fauteuil. Le spectateur doit sentir que ça dérape, et que plus rien nest sous contrôle avec, en plus, la pression de se demander : jusquoù ça peut aller ?
Il y a eu un gros travail dadaptation. Dans le bouquin, les personnages sont parfois un peu flous...
Oui, et il y avait aussi des pans quil fallait laisser tomber, des ellipses à créer, etc. Alfred avait sans arrêt le visuel en tête. On a eu un mal fou à parvenir à un timing de moins de deux heures. Avec un tel matériau, on pouvait tout à fait se lâcher sur un film de 3h20 comme les Américains le font de plus en plus, mais on tenait à garder un rythme tranchant. Le regard du spectateur a changé. En revoyant des anciens films en DVD, on a souvent envie de prendre des ciseaux et couper !
Vous vous impliquez totalement dans un projet en donnant tout le confort nécessaire à des premiers films.
Ça cest ma folie ! Et mon plaisir. Mon métier est de prendre des risques, et de sécuriser un auteur, lui dire : « Le film va exister ». En fait, je suis simplement un accompagnateur dénergie. Je nai jamais fait la différence entre un premier et un 25ème film. Le public non plus. Et jen ai fait pas mal des premiers films. Ce qui mamuse, cest que des gens commencent déjà à appeler Alfred Lot pour lui dire : « Tu ne veux pas lire tel bouquin ? », alors quon en est encore au montage ! Cest passionnant de découvrir et de donner sa chance à un jeune réalisateur de talent.
Même si le bonheur nest pas toujours dans le pré à larrivée !
Oui, même si on se prend de bonnes claques... Jaime bien créer des équipes, développer des projets. Je ne produis pas des films pour plaire au public mais des films qui peuvent lui plaire, cest mon grand luxe. Mais je ne mets pas en oeuvre tous les sujets que je développe. Et je ne suis pas richissime. On a une nouvelle maison de production « Produire à Paris », avant cétait Téléma. Là on repart à zéro.
Quest-ce qui vous a le plus étonné chez Alfred Lot ?
Sa force tranquille. Sur le plateau, il avance comme un char dassaut avec son combo autour du cou. Il a son film en tête et il ne lâche jamais. Il sest mis en danger du début à la fin. Ça me rassure quelquun qui joue sa vie avec un film. Si cest pour avoir un faiseur, aucun intérêt. Père de famille, Alfred avait une double sécurité lorsquil était scénariste et directeur de production. Là, à plus de quarante ans, il se lance dans la réalisation, et avec du lourd en plus... Je trouve ça formidable.
Quelles sont vos impressions en découvrant le film fini ?
Généralement quand vous mettez un film en chantier, vous savez quil y aura quelques éléments qui tiendront, une colonne vertébrale qui nest pas mal, un casting, etc, mais à larrivée, cest toujours un peu moins bien. Là, on atteint 100% de nos espérances. Alfred Lot a su imposer un style. Cest quoi un film aujourdhui ? Une histoire à part. Sinon, cest du déjà vu, dautant plus que, dans ce genre, la télé nous assomme de films et de téléfilms. LA CHAMBRE DES MORTS est un film avec un point de vue très personnel, et gonflé. La force dAlfred, cest davoir embarqué des comédiens de talent et des techniciens tout aussi remarquables dans son univers. Il a su simposer. En voyant ce film, je me dis que le cinéma français est encore bien vaillant.
Entretiens Gaillac-Morgue
Entretien avec Franck Thilliez
Auteur du livre La Chambre des morts
Quel avait été le point de départ de lécriture de La Chambre des morts ?
Je ne suis pas un « écrivain-né », je nai jamais écrit de nouvelles, de poèmes, etc. Ma culture est cinématographique. Depuis mon adolescence, jaime beaucoup les thrillers, les films policiers, les films dhorreur. Lenvie de passer à lécriture dun roman est venue de tout ce que minspirait ma région, le Nord. Je voulais laborder sous un aspect différent. Vu mes goûts pour un certain genre de cinéma, jai développé une intrigue policière. Je voulais aussi montrer quil était possible décrire des thrillers « made in France », bien de chez nous. Il y a dans mes romans ce côté « ça cest passé près de chez vous » !
Le livre a connu un vrai succès de librairie. Comment lexpliquez-vous, sur quoi sest fait lengouement du public ?
Précisément sur cette proximité, le lecteur pouvait reconnaître une région et sidentifier aux personnages. Dans La Chambre des morts, de nombreux lecteurs se sont en partie retrouvés dans ces deux informaticiens touchés par le chômage qui, un soir, par accident, renversent quelquun, et leur destin bascule. Dans lidée aussi que si du jour au lendemain, une énorme somme dargent nous tombe par hasard entre les mains, quest-ce quon fait ?
Au-delà du divertissement offert par le suspense de lintrigue policière, il y a en effet dans le livre et dans le film une réflexion sur les frontières entre le bien et le mal, sur la monstruosité...
Oui, sommes-nous réellement maîtres de nos destins ? Le mal est-il tapi en chacun dentre nous ? Après laccident, lélément déclencheur, chacun des deux hommes réagit différemment. Le personnage de Vigo est pris dans une spirale infernale et passe du mauvais côté de la barrière. Par contre, au début, Sylvain refuse de se laisser entraîner.
Le personnage qui est rongé par son enfance sombre dans une espèce de folie meurtrière, dans le Mal. Alors que Lucie qui, elle aussi, a un lourd passé, choisit de le transformer en positif. Pour exorciser son traumatisme, elle devient flic, elle représente la loi. Elle plonge dans les ténèbres des psychopathes et des serial-killers au travers de livres et de documents, mais cest pour les traquer, et mener à bien son enquête.
En écrivant ce livre vous imaginiez une adaptation cinématographique ?
Oh non, pas du tout. Il faut mimaginer tout tranquille derrière un ordinateur en train décrire une histoire. Pour moi trouver un éditeur était déjà miraculeux ! Une petite maison dédition ma donné ma chance, puis il y a eu ce formidable accueil du public, jétais déjà sur un nuage, alors lidée dune adaptation au cinéma était trop improbable. En plus, il faut quun tel film puisse se monter, combien restent dans les tiroirs ! Je ny ai cru que le jour où jai mis les pieds sur le tournage.
Comment avez-vous rencontré Alfred Lot et quels échanges avez-vous eu avec lui ?
Nous nous sommes rencontrés assez brièvement à Paris par lentremise de mon éditeur. Puis nous avons plus amplement fait connaissance lorsquAlfred a fait cette démarche qui ma énormément touché de venir me rendre visite dans le Nord. Il voulait découvrir les lieux, simprégner de lambiance, en parler avec moi. Il ma expliqué comment il voyait mes personnages, puis il ma intéressé au développement du scénario en madressant diverses moutures. En fait, il a gagné ma confiance. Jai compris quil allait respecter le livre.
Vous craigniez un traitement par limage de votre histoire ?
Jétais tellement heureux quun film sen inspire, ça surpassait mes rêves !
Et maintenant que le film existe ?
Jai vraiment été scotché par la façon dont Alfred Lot a réussi à semparer de cette histoire, à retranscrire en images la psychologie des personnages, à représenter ma région. Mélanie Laurent répond tout à fait à lidée que je me faisais de Lucie. Il y a un suspense tendu, de lémotion, de lhumain, de lhumour. Certaines scènes mont vraiment serré le coeur, celle par exemple où Sylvain découvre ce qui est arrivé à sa femme et à son bébé. Cest un passage très dur dans le livre, et il est encore plus fort à limage. Les flash-backs sont difficiles au cinéma, mais Alfred a su construire des scènes en symétrie qui nous font vraiment entrer dans les blessures du passé des personnages. Et il ne sest pas égaré à faire des scènes dhorreur et de violence, faciles avec des images. Au contraire, il a aussi abordé les relations amoureuses, alors quelles sont souvent bâclées dans les polars. Je connaissais les caractères, les situations, les décors etc, et pourtant, jai été comblé. Javoue même avoir été jaloux de certaines idées apportées par Alfred, il a imaginé des résolutions à des situations qui posaient des interrogations à la fin du livre. Il a réussi aussi à clore lhistoire, alors que moi jai laissé des choses en suspens car jai écrit une suite. Alfred a fait un vrai travail décriture, un travail d'écrivain !
Quest-ce que limage apporte à lécrit dans ce cas précis ?
Limage, le son, la musique produisent des explosions de sensations beaucoup plus immédiates. En quelques secondes on tremble, on a le souffle coupé, on sangoisse, on a envie de pleurer, il y a une pression, et très vite on se retrouve par exemple dans un dîner, des gens rient, on esquisse un sourire, on rigole avec eux, etc...
Cette adaptation va-t-elle influencer votre façon décrire ?
Oui, à présent jai le souci de mettre en image ce que jécris, comme un film. Mon style est plus sec, jévite les longues scènes de descriptions. En fait jessaye de faire passer les sentiments de mes personnages par du visuel. Jusque-là, jétais le narrateur, maintenant ils me remplacent. La vision du film a eu une réelle influence sur mon écriture, mais je veille aussi à garder mon style.
Vous êtes tenté par la réalisation ?
Non, je nai aucune connaissance technique. Par contre, lécriture de scenarii mintéresserait. Jai beaucoup appris en allant régulièrement sur le tournage et en voyant le travail dAlfred. Lui est à la fois réalisateur et scénariste de son propre film, cest pas mal... Vous aurez compris que jadore le film !
Entretiens Gaillac-Morgue
Entretien avec Mélanie LAURENT
Lucie
Quelles ont été vos réactions à la lecture du scénario ?
À la première lecture, jai été frappée par le naturalisme de toute la partie policière, les débriefs dans le commissariat, la manière denquêter, le rapport de mon personnage de jeune brigadier avec ses collègues plus ou moins sympas, etc. Javais envie de participer à ce film où lon retrouve lambiance réaliste du milieu policier, et en même temps, celle dun vrai thriller. On a du mal à comparer LA CHAMBRE DES MORTS à un autre film, ou à le classer dans un genre. Ça faisait longtemps que je navais pas lu un scénario qui me donnait à ce point-là lenvie de participer à un film. En plus, Charles Gassot assurait la production et il y avait une belle rumeur autour de ce projet. Donc laventure était excitante.
Vous êtes amatrice de thrillers, de romans noirs ?
Pas du tout. Alfred Lot mavait donné des bouquins de serial-killers, mais après en avoir lu trois pages, jétais terrorisée, je faisais des cauchemars ! Donc je nai pas du tout fait de préparation en me faisant violence, en me forçant à voir ce genre de films. Je nai même pas vu LE SILENCE DES AGNEAUX ! Et je nai pas lu La Chambre des morts. Ce qui mintéresse cest le film que le metteur en scène veut faire.
Parlez-nous de Lucie, votre personnage.
Les enfants traumatisés ont des vies un peu extraordinaires. Lucie a une certaine maturité, on a lui a volé son enfance donc elle sest construite, de manière naturelle, un bouclier pour se protéger. Il va lui falloir de la patience, et beaucoup damour pour essayer de se libérer un peu de ses obsessions intimes. Cest à cause delles quelle ne lâche pas quand elle est sur cette enquête. Une jeune femme qui ne dort pas pendant quatre jours, ça justifie des moments de fatigue et de larmes, pour une comédienne cest passionnant... Dailleurs, ça mintéresse de plus en plus de ne pas jouer « jolie ». Cest-à-dire, avoir à peine un quart dheure de maquillage, ne pas cacher ses cernes, ne pas avoir de coiffure apprêtée, et porter les mêmes fringues pendant deux mois. Pour moi, cest beaucoup plus fort. Quand on joue « jolie », on ne sait pas comment se tenir entre les prises, on pense toujours aux raccords. Là, pendant tout le tournage, on est débarrassé de la dimension physique du rôle, il ne reste que lémotion pure. En fait, il ny a plus que le jeu, cest très agréable.
Lucie est une jeune femme en manque damour... « Elle na pas fréquenté un homme depuis un an » dit sa mère.
À cause de son passé, elle ne fait pas vraiment confiance aux hommes. Et puis elle le dit, elle ne sait pas faire deux choses en même temps. On la sent touchée par Stéphane Moreno, le flic interprété par Eric Caravaca, elle a envie quil se passe quelque chose entre eux mais, à la fois, sil ne sétait pas dévoilé, jai limpression quelle laurait laissé partir. Elle nest pas une héroïne romantique ou une femme fatale, elle nest pas dans la séduction. Lucie est vraiment obsédée par cette enquête qui la renvoie à son enfance. Elle est totalement dans un rapport de protection, au-delà de ce que son métier lexige. Elle va tout faire pour éviter quil y ait une autre jeune victime. Dans la séquence où elle découvre la petite fille aveugle, elle est submergée par une émotion, une douleur intime qui la perturbe bien au-delà du fait dêtre confrontée à sa première scène de crime. Je métais renseignée, quand un flic découvre sa première scène de crime, il a envie de vomir, de pleurer, cest toujours très traumatisant.
On a limpression, dans son histoire damour naissant, que Stéphane la fait renaître et redevenir une femme désirante.
Oui, jaime bien ce qui se passe entre eux, et la façon dont Alfred Lot met en scène cette histoire. On ne montre pas grand-chose, il ny a pas de scène damour, aucun geste tendre, tout se passe dans des regards, ou à demi-mot. À la fin du film, il ny a pas dimages cliché où ça se prend dans les bras et ça va saimer très fort. Tout nest pas résolu, elle a confiance en Stéphane, mais il va falloir du temps. Là, cest très réaliste.
On est surpris par sa capacité danalyse, cest elle qui fait avancer lenquête.
Oui parce que cest comme si elle était à la place du tueur tout le temps. Elle est inconsciemment en résonance émotionnelle avec le tueur.
On sait peu de choses sur le passé de Lucie. Comment donner une telle présence à un personnage si secret ?
J'y ai pensé pendant six mois. Je lis et relis le scénario et après je men débarrasse, et j'en rêve. Tout un travail se fait inconsciemment. Dans la journée, tout dun coup, si je me balade ou si je vais à un rendez-vous, j'imagine Lucie dans cette ambiance-là. Je la vois marcher d'une manière assez sombre avec toutes sortes didées dans la tête. Ou bien au cours dun dîner, je me dis, comment réagirait-elle ? Je suppose quelle serait effacée, un peu perdue. Je crois quelle a sans doute pris beaucoup de cachets pour dormir et pour arrêter de faire des cauchemars. Je ne pense pas quelle ait consulté un psy. Non, elle a gardé à lintérieur delle-même son traumatisme comme un secret dont elle puise une force. De même quelle a caché lobjet qui la relie à son enfance dans son armoire secrète. Jimagine quaprès avoir couché ses enfants, cest une sorte de rituel pour elle de pleurer en mettant une bougie devant son petit autel. Elle vient sy ressourcer, elle y trouve lénergie pour mener à bien sa quête, elle a une vie à sauver. Quand Alfred ma appris que je faisais le film, je me suis dit que pour ce genre de rôle, je devrais travailler pendant des mois avec un coach. Finalement, je ne lai pas fait. Jai plus besoin dadrénaline, le moment où je découvre la scène le matin et je dois improviser, je fonce. Quand les rôles sont bien écrits et quune partie de nous-même correspond au personnage, le travail est déjà fait.
Vous nétiez pas éprouvée par la noirceur de certaines scènes ?
J'avais envie de donner au personnage un peu de maladresse à certains endroits. Souvent dans les polars, les flics ne tremblent pas, ils tirent sans aucun problème, comme sil ny avait rien dhumain en eux, cela me semble irréaliste, je ny crois pas. Pour avoir fait quelques séances de tir, cest extrêmement violent. Et Lucie nest pas sensée avoir lhabitude de pointer son flingue sur un homme. Javais besoin aussi de mes petits moments de légèreté ou de sourire dans certaines scènes. On a pensé avec Alfred quil fallait privilégier de jolis instants de tendresse lorsque Lucie soccupe de ses jumelles. Dans les cas des traumatismes de lenfance, on reproduit le schéma que lon a vécu, ou bien on va carrément dans le sens inverse. Donc je trouvais important quelle soit une vraie bonne maman, une mère aimante, même si elle est débordée, même si elle est torturée. Alfred ma laissé improviser avec les enfants.
Après ces moments quotidiens damour maternel très réalistes, cest plus facile de créer linquiétude. On ne va pas jouer le mystère ! Juste en effaçant un sourire par exemple, ça questionne, ça donne un secret au personnage. De toutes façons, jai besoin de rire énormément entre les prises. Jai une capacité à sortir très vite de mes personnages. Je crois que je nai jamais autant ri que sur ce film !
Vous abordez des registres très différents. Quel plaisir particulier éprouvez-vous à tourner dans un thriller ?
En tout cas, déjà cétait très agréable dêtre sur le plateau tout le temps. Je quittais ma loge le matin pour ny retourner que le soir. Alfred Lot impulsait une énergie assez géniale. Finalement, le plus fatigant et le plus difficile dans ce métier, cest lattente. Sur ce tournage, il ny en avait pas. On était dans une espèce de jeu non-stop. On finissait une séquence où on courait dans les dunes, aussitôt après je faisais réchauffer les biberons ! Javais le sentiment quon faisait un court métrage à larrachée, sans autorisation ! Ce rythme crée de précieux liens humains avec léquipe technique, tout le monde se donne à fond. Et finalement, ça correspond à ce que vit Lucie, elle ne sarrête jamais.
Quelle a été la scène la plus jubilatoire, ou la plus terrible à interpréter ?
Les scènes de flingue sont très amusantes, on a limpression dêtre Nikita ! La séquence sous la douche nétait pas forcément la plus sympa, on est au plus profond de lintimité... Mais je savais que la scène se terminait dans la légèreté et la drôlerie avec larrivée dEric et sa gêne quand il pose sa main par mégarde sur ma petite culotte ! Seul le chef-op était présent dans la salle de bain, caché sous un énorme K-way un peu ridicule, et je nétais pas complètement nue. Il y a rarement des scènes aussi intimes dans les films de genre qui soient traitées avec autant de pudeur et de respect. Et elle nest pas gratuite, elle fait basculer leur relation.
Comment Alfred Lot vous a-t-il dirigée, et quelles sont ses qualités ?
Alfred est très pudique, il ne déborde jamais dans lhystérie, ni dans un enthousiasme excessif à en rajouter dans les faux compliments ! Jai pris beaucoup de plaisir à travailler avec lui. Je comprends quil soit obsédé par ses cadres, il est déjà en train de monter son film pendant quil tourne. Rassuré sur limage, il peut se permettre dêtre généreux avec ses acteurs. Dune manière très douce et avec beaucoup de respect, il nous donne des espaces de liberté en sachant quelle va nous amener au meilleur de notre capacité. Avec Eric Caravaca, on avait de grands fous rires entre les prises pour se défouler, et Alfred avait lintelligence de nous laisser ces moments-là. Je suis très sensible à la direction dacteurs et à la technique car jespère passer à la réalisation.
Vous avez une belle complicité de jeu avec Eric Caravaca.
Alfred avait organisé un déjeuner pour notre première rencontre. À la fin, je me suis dit que deux mois et demi dans le Nord à travailler ensemble avec Eric, ça allait être sinistre ! Dès le premier jour de tournage, jai découvert un acteur extraordinaire qui donne autant dans le champ que dans le contre-champ, et un merveilleux complice pour mes moments de rigolade. Avec Eric, on avait la même envie de faire rire toute léquipe, et lambiance était formidable sur ce film. Jai aussi pris beaucoup de plaisir à jouer avec Céline Sallette et Nathalie Richard.
Quel souvenir gardez-vous de ce tournage ?
Le plaisir dêtre dans une énergie permanente, et le bonheur absolu de retrouver léquipe lorsque le réveil sonne à 5h du matin ! Ça devrait être comme ça sur chaque tournage puisque ce métier fait rêver le monde !
Entretien avec Éric CARAVACA
Moreno
Quest-ce qui vous motivait dans ce projet au départ ?
Une histoire damitié ! Nous avions avec Alfred Lot un ami commun : Maxime Bochner, aujourdhui disparu, à qui nous avons lun et lautre dédicacé nos premiers films : le 3ème Homme en quelque sorte... Évidemment, quand Alfred ma proposé le rôle de Stéphane Moreno, il était hors de question que je refuse. Jétais très attiré par un film dun genre que je navais quasiment jamais pratiqué. Jai beaucoup aimé la façon dont Alfred sest emparé de cette étrange histoire qui lie le romanesque au thriller. Les instants suspendus où lon approche lintimité des personnages donnent une beauté rare à ce genre de film.
Parlez-nous de Stéphane Moreno, votre personnage.
Moreno est un flic consciencieux et par ailleurs un peu maladroit, ce qui le rend assez touchant. Il est assez solitaire, on devine que lui aussi a ses failles.
Moreno est tiraillé entre sa rigueur professionnelle et son attirance pour Lucie.
Il éprouve un sentiment naissant quil nose pas dévoiler... Il hésite à franchir le pas. On peut imaginer quil a vécu une expérience sentimentale malheureuse. Je lai travaillé un peu dans ce sens-là. Au départ, il est assez protecteur vis-à-vis de Lucie qui débarque comme stagiaire dans ce commissariat. Puis il est étonné par son approche singulière sur cette enquête, par ses intuitions, ses déductions. Finalement il est totalement charmé par cette femme.
Vous avez fait des recherches personnelles pour arriver à une telle justesse de jeu ?
Pour me préparer, jai rencontré un policier qui, par certains côtés, ressemblait à Moreno. Il ma touché, il parlait de son métier avec humilité. Et avec beaucoup dhumanité, comme un comédien de théâtre peut parler de son travail. Ce policier était très solide mentalement, et en même temps, très sensible. Je tenais à donner ce côté humain et attachant au personnage pour ne pas tomber dans une caricature de jeune flic turbulent. Finalement, une fois que lon a des menottes et un pistolet accrochés à la ceinture, on na pas besoin de trop en rajouter pour représenter la police !
Ce doit être intéressant pour un acteur de jouer sur deux registres dans un film. Pour lhistoire sentimentale, dans les rapports avec Lucie, vous installez un jeu tout en délicatesse. Tout se passe à demi-mot, par des jeux de regards, des émotions sensibles et discrètes qui contrastent avec la violence des situations.
Mon rôle nest pas démonstratif, il a sa fonction, et elle a son importance dans ce projet. Jai eu la chance davoir Mélanie Laurent comme partenaire. Très vite, une belle complicité sest créée entre nous, Mélanie est très franche et très directe. On sest découvert un humour commun, on a beaucoup rigolé. Je pense quil ny aurait pas eu cette même connivence à lécran entre deux acteurs, si bons soient-ils, sans cet échange et cet accord spontané. Limportant était dêtre à lécoute lun de lautre, et de laisser ses propres bagages en coulisses. Je crois de plus en plus à cela : se nourrir en amont, puis au moment de jouer, travailler en creux, oublier le travail, être dans le moment présent.
Lensemble du casting est bien équilibré.
Oui, tous les acteurs sont au même niveau. Quand on voit un film pour la première fois, on a tendance à ne retenir que les mauvais moments de son propre travail, mais là jai pris beaucoup de plaisir à observer le jeu de tous les comédiens. Gilles Lellouche et Jonathan Zaccaï sont formidables. Leur enjeu était difficile, car cest eux qui ouvrent le feu. Céline Sallette et Laurence Côte sont étonnantes. La première fois que jai vu Laurence apparaître à lécran, je me suis dit, « Mais qui est cet acteur avec son grand manteau ? » Céline défend magnifiquement son personnage, elle nest pas tombée dans le piège de la démesure, elle est extrêmement touchante et on accepte sa folie. Le gardien du zoo et le taxidermiste (Jean-François Stevenin) sont dans un registre un peu plus démonstratif, mais restent dune grande justesse et révèlent ainsi toute la dimension de leur personnage. Alfred a réussi à recréer une troupe de comédiens comme une troupe de théâtre, cest plaisant et rare. Cest un homme de plateau, alors rien ne leffraie. Sa force tranquille est très rassurante pour un acteur.
Alors, heureux de vous être aventuré dans un film de genre ?
Oui, content du voyage ! Heureux et ému de voir un ami concrétiser son projet. Alfred a été à la hauteur de ses ambitions, il a réussi son film. Nous avons eu la chance dêtre soutenu par un producteur comme Charles Gassot, par Jacques Hinstin, un des meilleurs directeurs exécutifs et par Gaël Deledicq notre régisseur général. Ils ont tout mis en oeuvre pour que le film se fasse dans de bonnes conditions.
Propos de Gilles LELLOUCHE
Sylvain
Dès notre première rencontre, jai été séduit par la façon dont Alfred Lot parlait de son projet. Il était totalement passionné. Finalement ce nest pas si fréquent de voir un réalisateur habité à ce point-là par son film, surtout aussi en amont. Je me suis dit, ce type est chouette, et si en plus le scénario est solide, alors là, ça vaut le coup. Il savère que je lai dévoré en une heure, je ne pouvais pas marrêter. Il y a des rebondissements permanents. Ensuite, je me suis attaché à mon personnage. Sylvain est un type ordinaire brusquement plongé dans une histoire extraordinaire. Hélas pour lui, tout cela va le dépasser et même plus que le dépasser !
Jusque-là Sylvain menait une vie tranquille avec sa femme et son bébé. Mis au chômage, il passait son temps à glandouiller avec son pote Vigo, jusquà ce fameux soir où tout a basculé.
Le film part sur un accident. Un type est fauché... Cest Vigo qui conduit, mais la voiture appartient à Sylvain. Tout à coup Sylvain nest plus décideur de son destin. Dautres décident pour lui... À un moment donné, il veut faire marche arrière, mais hélas, cest trop tard... Et là, la personnalité de ces deux amis va se révéler dune manière assez violente.
Ce genre dhistoire, avec des scènes aussi denses, est un vrai régal pour un comédien. On a pris un plaisir fou avec Jonathan Zaccaï à composer nos personnages. On était très complémentaires, on sencourageait sans arrêt, en échangeant nos points de vue, on se disait, « Tiens, là tu pourrais rajouter ça »... Jétais super motivé et à la fois, ce rôle ma flanqué un trac comme jen ai rarement eu dans ma vie ! Je métais pourtant longuement préparé avant le tournage, mais ensuite, plus certaines scènes approchaient, plus je mapercevais que jétais en micro dépression rien quà imaginer les situations que je devais jouer, comme celle où je découvre ce qui est arrivé à ma fille et ma femme par exemple. Mais cest génial, parce que cest très galvanisant, ça donne une terrible énergie.
Je ne suis pas prêt doublier une telle expérience, et un tel film !
Entretiens Gaillac-Morgue
(BANDE ANNONCE 2007)